Tuesday, April 28, 2015

Le moment et la manière

Ce qui frappe dans le compte-rendu des débats qui se sont tenus hier devant la Cour suprême au sujet de l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe c'est, qu'au fond, le principe selon lequel cette interdiction est vouée à disparaître tôt ou tard ne semble plus vraiment en débat. La question est désormais de savoir quand et par qui l'arrêt de mort doit être prononcé. Deux thèses s'affrontent. Les requérants soutiennent que la question est mûre pour une résolution par la voie judiciaire, et que la Cour doit déclarer immédiatement que cette différence de traitement est contraire au XIVème amendement de la Constitution (dans la mesure où la société américaine est globalement prête pour cette évolution et que le caractère discriminatoire de ces lois relève désormais de l'évidence). Les opposants à cette thèse font valoir qu'il ne faut pas précipiter les choses, et qu'il est préférable de laisser les électeurs ou les parlements de chaque Etat s'apercevoir, d'eux mêmes, que les temps ont changé. C'est la thèse du "processus politique".

Les débats ont montré l'embarras des juges, qui redoutent, d'un côté, de passer à la postérité comme ceux qui se seront "lavés les mains"de la question, et auront laissé passer le vent de l'histoire et, de l'autre, d'être accusés, de forfaiture et de mépris pour les électeurs et l'autonomie des Etats. Le juge Kennedy, connu pour avoir rédigé la plupart des opinions qui ont censuré les discriminations à l'égard des homosexuels, a ainsi déclaré  "Cette définition  (NB : l'union entre un homme et une femme) nous a accompagnés pendant des millénaires. Et c’est très difficile pour la Cour de dire “Bon, d’accord, mais nous en avons une meilleure”." Rebondissant sur l'idée qu'une tradition séculaire ne peut pas être, du jour au lendemain, qualifiée de discrimination pure et simple, le juge Scalia a posé à l'avocat des requérants la question suivante : " Que faites vous de la circonstance que, autant que je sache, jusqu’à la fin du XXeme siècle, aucune nation ou culture n’a reconnu un mariage entre deux personnes de même sexe? Donc, nous pouvons en inférer que ces nations et ses cultures estimaient toutes qu’il y avait un motif rationnel, une raison pratique pour définir le mariage de cette façon, ou est-ce que vous soutenez qu’elles avaient toutes, et de facon indépendante, un jugement fondé sur des stéréotypes irrationnels et des prejugés?". 

Même le juge libéral Breyer a estimé que la question appelait une réponse claire de la part de l'avocate des requérants, et a repris le thème du millénaire et de la longue durée : "La thèse opposée à la vôtre a eu force de loi pendant des milliers d'années", et "tout d'un coup, vous voulez que neuf personnes non élues imposent aux Etats qui n'en veulent pas une définition du mariage" qui inclue les personnes de même sexe. "Pourquoi est-ce que ces Etats ne peuvent pas attendre et voir ce qui se passe dans les autres Etats avant de décider si cette évolution affaiblit l'institution du mariage?".


La réponse n'est pas venue de l'avocate des plaignants, qui n'a pas été très à son aise tout au long des débats -on serait intimidé à moins-, mais de l'avocat général Verilli, qui intervenait au nom de l'Etat fédéral (qui soutient également que ces lois sont inconstitutionnelles). Il a tout d'abord insisté sur le fait que si la Cour s'en remettait au "processus politique" pour mettre fin aux discriminations, ce choix ne serait pas neutre. Si vous prenez ce parti, a-t-il lancé, "vous direz en réalité que le statut de second zone des couples gays et lesbiens est compatible avec le principe d'égalité devant la loi. Cela ne serait pas une attitude attentiste ("wait-and-see"), mais une "validation" (de ces discriminations). Autrement dit, il a clairement signifié à la Cour que "ne pas choisir, c'est déjà choisir". Il a ensuite souligné les conséquences de ce choix : si vous pensez que le problème va se résoudre avec le temps, ce qui va se passer, c'est que "le pays va se diviser de la même manière qu'il l'a fait sur la discrimination raciale" (NB : qui resta légale dans le Sud pendant de nombreuses décennies, alors qu'en droit, elle avait disparu du reste des Etats-Unis). "Vous aurez beaucoup d'Etats, une majorité sans doute, dans les lesquels les homosexuels pourront vivre dans la dignité et l'égalité, mais vous aurez une minorité d'Etats dans lesquels ils seront relégués dans un statut dégradant, de seconde zone. Et de conclure :"Je ne vois pas pourquoi nous voudrions que l'histoire se répète de cette façon". 

Si les lois sont déclarées inconstitutionnelles, Donald Verilli aura bien mérité une statue.



Monday, April 27, 2015

Mariage pour tous, la lutte finale?

A moins d'être sourd, aveugle et de ne pas lire le journal (sans parler de ce blog), il est impossible de ne pas savoir que la Cour suprême des Etats-Unis entendra demain les plaidoiries dans l'ensemble d'affaires portant sur le mariage entre personnes de même sexe. Sur un plan général, la question est de savoir si la Cour va mettre un point final à une longue histoire de discrimination contre les homosexuels. Et, au fond, la réponse à cette question est la seule chose qui comptera vraiment lorsque la Cour rendra sa décision (en principe fin juin ou début juillet) : peu importe le flacon, etc., etc.

Mais comme il faut bien que les juristes ramènent leur "science" et justifient l'existence de leur profession, on dira tout même un mot de la formulation juridique des questions posées et des réponses qui pourraient être apportées. Deux questions seront débattues demain (étant précisé que la Cour a la mainmise sur les questions qu'elle choisit d'examiner, et qu'elle a contribué à les formuler de la sorte). La première est de savoir, à titre principal, si l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe est contraire au XIVème amendement de la Constitution. Cet amendement, adopté à l'issue de la guerre de sécession, prévoit notamment qu'aucun Etat fédéré ne peut priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans une procédure légale ("due process of law", terme difficile à traduire littéralement, car il comprend un ensemble de garanties), ou leur refuser l'égale protection des lois ("equal protection of the law").

Ce principe d'égale protection est l'équivalent américain du principe d'égalité. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, la Cour a tenté de dégager un cadre théorique précis pour  l'application de ce principe. Elle applique la théorie des degrés de contrôle, qui consiste à distinguer trois types de contrôle. Dans la plupart des cas, la Cour n'applique qu'un contrôle minimal, et se contente de rechercher si le législateur avait un motif raisonnable ou légitime (n'importe lequel, même s'il n'a pas été envisagé par législateur) pour traiter différemment A et B. Lorsque la loi utilise des catégories dites "suspectes", et en tout premier lieu lorsqu'elle utilise des catégories dites "raciales" -terme d'usage courant aux Etats-Unis pour désigner les catégories ethniques-, elle est au contraire soumise à un contrôle strict ou maximal, et la différence de traitement ne peut être justifiée que par un motif impérieux d'intérêt public et strictement proportionnée à ce motif (ce qui n'est que très rarement le cas, sauf dans quelques affaires d'affirmation action). L'idée est que toute différence de traitement fondée sur la "race" est a priori suspecte et dangereuse, et ne peut survivre qu'avec de très fortes justifications. Entre les deux, il existe un contrôle intermédiaire, qui s'applique notamment aux différences de traitement entre hommes et femmes : la présomption d'inconstitutionnalité qui s'attache à ces discrimination est forte, mais pas aussi forte que pour les discriminations raciales.

Vous allez donc me dire (car il y a en y a peut-être qui suivent...), laquelle de ces trois grilles d'analyse la Cour applique-t-elle aux différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle? Eh bien, la réponse... n'est pas très claire. Depuis quelques dizaines d'années, la Cour tourne autour du pot. Dans l'affaire US v. Windsor, en 2013, la Cour a censuré comme inconstitutionnelle la loi fédérale refusant de conféder des effets à des unions entre personnes de même sexe légalement conclues dans des Etats où elles sont autorisées. Mais elle l'a fait sur la base d'un raisonnement qui mélange deux types de considérations : les unes, tirées de la nécessité de respecter la volonté des Etats fédérés (considération qui, en l'espèce, plaiderait plutôt contre la censure des lois en litige, puisqu'une partie des Etats refusent les unions entre personne de même sexe), les autres, tirées du principe d'égalité (considérations qui, au contraire, plaideraient pour admettre l'inconstitutionnalité de la loi). Et elle s'est bien gardée de ranger la différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle dans une des trois catégories mentionnées.

Logiquement, la Cour devrait enfin sortir de l'ambiguïté sur le sujet. La solution la plus simple consisterait sans doute à assimiler les différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle à celles fondées sur le genre (voire à reconnaître que, compte tenu de l'histoire de discrimination à l'encontre des homosexuels, l'usage de la distinction fondée sur l'orientation sexuelle est a priori suspecte, au même titre que l'utilisation d'un critère racial). Mais il paraît difficile (et pas souhaitable) de rester dans le flou conceptuel entretenu depuis plus de vingt ans sur la question alors, que par, ailleurs, la Cour a construit sur le sujet un édifice intellectuel fort louable.

Des mauvaises langues et des chicaneurs feront remarquer que sous d'autres cieux, dans galaxies lointaines, des juridictions arrivent très bien à appliquer le principe d'égalité sans véritable cadre  théorique, et en décrétant, au fil de l'eau, que la situation est différente parce qu'elle n'est pas pareille, ou qu'il existe un (puissant) motif d'intérêt général pour traiter différemment des situations identiques. Mais on a de la peine à croire, tant le propos semble déraisonnable et exagéré, qu'il s'agit d'autre chose que d'un racontar de voyageur désireux, comme Marco Polo, d'attirer l'attention.

Monday, April 20, 2015

L'autre Kennedy

Le 28 avril prochain, la Cour suprême entendra les plaidoiries dans les affaires relatives au mariage entre personnes de même sexe. Comme c'est désormais classique, le juge dont les propos seront scrutés de plus près est Anthony Kennedy. En effet, il joue  le rôle habituel de swing judge, c'est à dire celui dont le vote peut faire basculer la majorité de la Cour d'un côté ou de l'autre. Dans sa composition moderne -cela n'a pas toujours été le cas-, la Cour suprême est composée de 9 juges. Les juges sont nommés à vie, et leurs fonctions ne cessent que par la mort ou la démission (ou l'impeachment). Les préférences doctrinales et idéologiques des juges peuvent évoluer avec le temps, mais dans la composition actuelle de la Cour, elle sont assez stables. Dans les affaires portant sur des grands enjeux de société, le bloc "libéral" (au sens américain du terme, c'est à dire progressiste) comprend les juges Kagan, Sotomayor, Breyer et Ginsburg. Les juges Scalia, Alito, et Thomas forment un bloc conservateur stable, auquel se joint le plus souvent le chief justice Roberts (même s'il a fait spectaculairement défection dans l'affaire de l'Obamacare).

C'est donc Anthony Kennedy qui joue le plus souvent le rôle de pivot. Contrairement à l'ambiguîté volontairement entretenue par le titre de ce billet (on nous pardonnera ce procédé visant à susciter l'attention!), il n'est pas apparenté à la dynastie homonyme. Mais il n'en joue pas moins un rôle important dans la vie institutionnelle américaine.

Il a été nommé à la Cour suprême en 1988, c'est à dire par Ronald Reagan. Originaire de Sacramento, où il est toujours membre du corps enseignant de l'Université du Pacifique (Mc George), il a progressivement évolué sur l'échiquier idéologique de la Cour. Si, au départ, il joignait généralement ses voies à celles des conservateurs, et continue de le faire sur certains sujets, il a progressivemen pris des positions beaucoup plus libérales sur certains grands sujets de société. En 1992, alors que beaucoup prédisaient la fin de la jurisprudence Roe v. Wade (1973), par laquelle la Cour avait reconnu la valeur constitutionnelle du droit  à l'avortement, il a fait partie des juges pronant une position médiane. Après les démissions successives de Sandra Day O'Connor (qui auparavant, jouait souvent le rôle de pivot) et de David Souter (également nommé par un républicain, mais qui a rapidement évolué vers les progressistes), il est devenu celui qui, dans les affaires où le clivage idéologique joue à plein, fait et défait les majorités.

Dans les affaires portant sur l'appréhension juridique de l'homosexualité, il a le plus souvent penché du côté progressiste, et contribué à faire déclarer inconstitutionnelles les lois organisant la discrimination contre les homosexuels. Sur la question de la peine de mort, il a systématiquement pris le parti de restreindre champ de la peine capitale : il s'est prononcé contre l'exécution des personnes mineures ou atteintes d'un handicap mental au moment de la commission des faits (Atkins v. Virginia (2002) et Roper v. Simmons (2005)), ou des auteurs de crimes n'ayant pas entrainé la mort de la victime -Kennedy v. Louisiana (2008). Il a aussi voté en faveur de l'application des garanties de l'habeas corpus  aux "ennemis combattants" dans l'affaire Boumedienne v. Bush (2008). En revanche, il continue de joindre ses voix au bloc conservateur sur certains sujets sensibles, comme le financement de la vie politique : dans le calamiteux arrêt Citizen united (qui prive d'effet une grande partie de la législation sur le financement des campagnes électorales), en 2010, il a rédigé l'opinion majoritaire, qui assimile le fait de dépenser de l'argent au profit de la défense de certaines thèses à l'expression d'une opinion,  protégée par le Premier amendement.

Son rôle de pivot ne lui vaut pas que des amis : il a parfois été violemment attaqué, notamment par son collègue Scalia, qui a mis en cause, dans ses opinions dissidentes, son style jugé exagérément emphatique, ou ses emprunts au droit comparé. En effet, le juge Kennedy, qui enseigne tous les ans un séminaire de droit comparé en Autriche, est l'un de ceux qui a contribué à faire référence, dans les arrêts de la Cour, à la jurisprudence de cours étrangères, comme la Cour européenne des droits de l'homme.

La cohérence de ses votes dans les affaire relatives aux droits des homosexuels a fait dire à certains commentateurs que son vote était quasiment acquis pour déclarer inconstitutionnelles les lois réservant le mariage à un homme et une femme. Le droit n'étant ni une science exacte, et la Cour n'étant pas une annexe du PMU, on se gardera pour notre part de tout pronostic. Mais, comme à peu près tout le monde le 28 avril, on sera particulièrement attentifs aux propos du juge Kennedy lors de l'audience de la Cour.

Monday, April 6, 2015

Le "blues" des facultés de droit


Si l’économie américaine se remet progressivement des conséquences de la crise, avec un taux de chômage désormais revenu autour de 5 %, tous les secteurs ne profitent pas également de la reprise. Le niveau des inscriptions dans les facultés de droit, en particulier, continue de décliner, comme vient de noter un récent article publié dans le journal de l’American Bar Association. Pour la quatrième année consécutive depuis 2010, le nombre des étudiants préparant un diplôme de Jurisdoctor (JD, le diplôme de base pour l’accès aux professions juridiques) a baissé. Les 204 law schools accréditées par l’American Bar Association comptent désormais 18,5 % d’étudiants de moins qu’en 2010 (pic historique des effectifs), et le nombre des étudiants est revenu à son niveau de 1987 : elles comptent 119 775 étudiants, contre 147 525 en 2010. Et la tendance devrait se poursuivre, puisque le niveau des inscriptions en première année continue de faiblir (37 924 en 2014, contre 52 488 en 2010), ainsi que celui des candidats au LSAT, le test d’accès aux études de droit (un test standardisé qui permet d’obtenir un score que les candidats joignent à leur dossier de candidature dans les différentes universités).

Comment expliquer ce phénomène ? Aux Etats-Unis, le coût des études de droits est particulièrement élevé : de l’ordre de 40 000 à 50 000 dollars par an  pour les seuls droits d’inscription (pour une scolarité qui dure trois ans). Et ce coût s’ajoute souvent aux dettes contractées lors des études post-bac, car on ne peut accéder aux études de droit qu’après avoir obtenu un premier diplôme d’enseignement supérieur (un bachelor’s degree, l'équivalent de la licence ou du master I). Pendant longtemps, ce coût a paru justifié par le retour sur investissement, car les rémunérations dans les professions juridiques sont élevées et que le niveau de l’emploi dans ces professions l’était également (en 2012, la rémunération médiane à l’embauche pour un avocat débutant dans le secteur privé était de l’ordre de 100 000 dollars par an). Mais la crise est passée par là.

Pour l’instant, la baisse des effectifs dans les JD est en partie compensée par l’augmentation du recrutement des étudiants dans d’autres programmes, et notamment les programmes de LLM (des diplômes en 1 an principalement à destination des étudiants étrangers, mais aussi des professionnels désirant une année de spécialisation) : sur 15 ans, le nombre d’étudiants suivant ces programmes a augmenté de 79 %. Mais là encore, le marché n’est pas extensible à l’infini, et finira par trouver ses limites, car le coût de ces formations est également très élevé (de l’ordre de 40 000 dollars à l’année).

Face à cette crise, les propositions fusent dans tous les sens. L’idée de réduire la scolarité à deux ans a attiré beaucoup d’attention lorsque le président Obama l’a reprise à son compte dans un discours en 2013. Mais pour le moment, elle n’a pas fait beaucoup d’émules. D’autres initiatives ont pour but d’améliorer la transparence sur le sort des diplômés à la sortie des écoles. Dans le passé, certaines écoles ont été accusées de gonfler leurs statistiques d’embauche des diplômés, notamment pour améliorer leur place dans le très influent classement des écoles, publié tous les ans dans US News. Une organisation spécifique, Law school transparency,  est désormais entièrement dédiée à l’observation des facultés de droit et à la publication de statistiques indépendantes sur les coûts et les débouchés (taux de réussite à l’examen d’avocat, taux d’embauche, etc.).


Les facultés de droit, quant à elle, font de leur mieux pour équilibrer leur budget et trouver de nouvelles ressources. Signe des temps, elles sont de plus en plus nombreuse à facturer l’accueil (autrefois gratuit) des visiting scholars, ces universitaires étrangers qui viennent étudier quelques mois aux Etats-Unis.