Monday, April 20, 2015

L'autre Kennedy

Le 28 avril prochain, la Cour suprême entendra les plaidoiries dans les affaires relatives au mariage entre personnes de même sexe. Comme c'est désormais classique, le juge dont les propos seront scrutés de plus près est Anthony Kennedy. En effet, il joue  le rôle habituel de swing judge, c'est à dire celui dont le vote peut faire basculer la majorité de la Cour d'un côté ou de l'autre. Dans sa composition moderne -cela n'a pas toujours été le cas-, la Cour suprême est composée de 9 juges. Les juges sont nommés à vie, et leurs fonctions ne cessent que par la mort ou la démission (ou l'impeachment). Les préférences doctrinales et idéologiques des juges peuvent évoluer avec le temps, mais dans la composition actuelle de la Cour, elle sont assez stables. Dans les affaires portant sur des grands enjeux de société, le bloc "libéral" (au sens américain du terme, c'est à dire progressiste) comprend les juges Kagan, Sotomayor, Breyer et Ginsburg. Les juges Scalia, Alito, et Thomas forment un bloc conservateur stable, auquel se joint le plus souvent le chief justice Roberts (même s'il a fait spectaculairement défection dans l'affaire de l'Obamacare).

C'est donc Anthony Kennedy qui joue le plus souvent le rôle de pivot. Contrairement à l'ambiguîté volontairement entretenue par le titre de ce billet (on nous pardonnera ce procédé visant à susciter l'attention!), il n'est pas apparenté à la dynastie homonyme. Mais il n'en joue pas moins un rôle important dans la vie institutionnelle américaine.

Il a été nommé à la Cour suprême en 1988, c'est à dire par Ronald Reagan. Originaire de Sacramento, où il est toujours membre du corps enseignant de l'Université du Pacifique (Mc George), il a progressivement évolué sur l'échiquier idéologique de la Cour. Si, au départ, il joignait généralement ses voies à celles des conservateurs, et continue de le faire sur certains sujets, il a progressivemen pris des positions beaucoup plus libérales sur certains grands sujets de société. En 1992, alors que beaucoup prédisaient la fin de la jurisprudence Roe v. Wade (1973), par laquelle la Cour avait reconnu la valeur constitutionnelle du droit  à l'avortement, il a fait partie des juges pronant une position médiane. Après les démissions successives de Sandra Day O'Connor (qui auparavant, jouait souvent le rôle de pivot) et de David Souter (également nommé par un républicain, mais qui a rapidement évolué vers les progressistes), il est devenu celui qui, dans les affaires où le clivage idéologique joue à plein, fait et défait les majorités.

Dans les affaires portant sur l'appréhension juridique de l'homosexualité, il a le plus souvent penché du côté progressiste, et contribué à faire déclarer inconstitutionnelles les lois organisant la discrimination contre les homosexuels. Sur la question de la peine de mort, il a systématiquement pris le parti de restreindre champ de la peine capitale : il s'est prononcé contre l'exécution des personnes mineures ou atteintes d'un handicap mental au moment de la commission des faits (Atkins v. Virginia (2002) et Roper v. Simmons (2005)), ou des auteurs de crimes n'ayant pas entrainé la mort de la victime -Kennedy v. Louisiana (2008). Il a aussi voté en faveur de l'application des garanties de l'habeas corpus  aux "ennemis combattants" dans l'affaire Boumedienne v. Bush (2008). En revanche, il continue de joindre ses voix au bloc conservateur sur certains sujets sensibles, comme le financement de la vie politique : dans le calamiteux arrêt Citizen united (qui prive d'effet une grande partie de la législation sur le financement des campagnes électorales), en 2010, il a rédigé l'opinion majoritaire, qui assimile le fait de dépenser de l'argent au profit de la défense de certaines thèses à l'expression d'une opinion,  protégée par le Premier amendement.

Son rôle de pivot ne lui vaut pas que des amis : il a parfois été violemment attaqué, notamment par son collègue Scalia, qui a mis en cause, dans ses opinions dissidentes, son style jugé exagérément emphatique, ou ses emprunts au droit comparé. En effet, le juge Kennedy, qui enseigne tous les ans un séminaire de droit comparé en Autriche, est l'un de ceux qui a contribué à faire référence, dans les arrêts de la Cour, à la jurisprudence de cours étrangères, comme la Cour européenne des droits de l'homme.

La cohérence de ses votes dans les affaire relatives aux droits des homosexuels a fait dire à certains commentateurs que son vote était quasiment acquis pour déclarer inconstitutionnelles les lois réservant le mariage à un homme et une femme. Le droit n'étant ni une science exacte, et la Cour n'étant pas une annexe du PMU, on se gardera pour notre part de tout pronostic. Mais, comme à peu près tout le monde le 28 avril, on sera particulièrement attentifs aux propos du juge Kennedy lors de l'audience de la Cour.

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