Monday, April 27, 2015

Mariage pour tous, la lutte finale?

A moins d'être sourd, aveugle et de ne pas lire le journal (sans parler de ce blog), il est impossible de ne pas savoir que la Cour suprême des Etats-Unis entendra demain les plaidoiries dans l'ensemble d'affaires portant sur le mariage entre personnes de même sexe. Sur un plan général, la question est de savoir si la Cour va mettre un point final à une longue histoire de discrimination contre les homosexuels. Et, au fond, la réponse à cette question est la seule chose qui comptera vraiment lorsque la Cour rendra sa décision (en principe fin juin ou début juillet) : peu importe le flacon, etc., etc.

Mais comme il faut bien que les juristes ramènent leur "science" et justifient l'existence de leur profession, on dira tout même un mot de la formulation juridique des questions posées et des réponses qui pourraient être apportées. Deux questions seront débattues demain (étant précisé que la Cour a la mainmise sur les questions qu'elle choisit d'examiner, et qu'elle a contribué à les formuler de la sorte). La première est de savoir, à titre principal, si l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe est contraire au XIVème amendement de la Constitution. Cet amendement, adopté à l'issue de la guerre de sécession, prévoit notamment qu'aucun Etat fédéré ne peut priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans une procédure légale ("due process of law", terme difficile à traduire littéralement, car il comprend un ensemble de garanties), ou leur refuser l'égale protection des lois ("equal protection of the law").

Ce principe d'égale protection est l'équivalent américain du principe d'égalité. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, la Cour a tenté de dégager un cadre théorique précis pour  l'application de ce principe. Elle applique la théorie des degrés de contrôle, qui consiste à distinguer trois types de contrôle. Dans la plupart des cas, la Cour n'applique qu'un contrôle minimal, et se contente de rechercher si le législateur avait un motif raisonnable ou légitime (n'importe lequel, même s'il n'a pas été envisagé par législateur) pour traiter différemment A et B. Lorsque la loi utilise des catégories dites "suspectes", et en tout premier lieu lorsqu'elle utilise des catégories dites "raciales" -terme d'usage courant aux Etats-Unis pour désigner les catégories ethniques-, elle est au contraire soumise à un contrôle strict ou maximal, et la différence de traitement ne peut être justifiée que par un motif impérieux d'intérêt public et strictement proportionnée à ce motif (ce qui n'est que très rarement le cas, sauf dans quelques affaires d'affirmation action). L'idée est que toute différence de traitement fondée sur la "race" est a priori suspecte et dangereuse, et ne peut survivre qu'avec de très fortes justifications. Entre les deux, il existe un contrôle intermédiaire, qui s'applique notamment aux différences de traitement entre hommes et femmes : la présomption d'inconstitutionnalité qui s'attache à ces discrimination est forte, mais pas aussi forte que pour les discriminations raciales.

Vous allez donc me dire (car il y a en y a peut-être qui suivent...), laquelle de ces trois grilles d'analyse la Cour applique-t-elle aux différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle? Eh bien, la réponse... n'est pas très claire. Depuis quelques dizaines d'années, la Cour tourne autour du pot. Dans l'affaire US v. Windsor, en 2013, la Cour a censuré comme inconstitutionnelle la loi fédérale refusant de conféder des effets à des unions entre personnes de même sexe légalement conclues dans des Etats où elles sont autorisées. Mais elle l'a fait sur la base d'un raisonnement qui mélange deux types de considérations : les unes, tirées de la nécessité de respecter la volonté des Etats fédérés (considération qui, en l'espèce, plaiderait plutôt contre la censure des lois en litige, puisqu'une partie des Etats refusent les unions entre personne de même sexe), les autres, tirées du principe d'égalité (considérations qui, au contraire, plaideraient pour admettre l'inconstitutionnalité de la loi). Et elle s'est bien gardée de ranger la différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle dans une des trois catégories mentionnées.

Logiquement, la Cour devrait enfin sortir de l'ambiguïté sur le sujet. La solution la plus simple consisterait sans doute à assimiler les différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle à celles fondées sur le genre (voire à reconnaître que, compte tenu de l'histoire de discrimination à l'encontre des homosexuels, l'usage de la distinction fondée sur l'orientation sexuelle est a priori suspecte, au même titre que l'utilisation d'un critère racial). Mais il paraît difficile (et pas souhaitable) de rester dans le flou conceptuel entretenu depuis plus de vingt ans sur la question alors, que par, ailleurs, la Cour a construit sur le sujet un édifice intellectuel fort louable.

Des mauvaises langues et des chicaneurs feront remarquer que sous d'autres cieux, dans galaxies lointaines, des juridictions arrivent très bien à appliquer le principe d'égalité sans véritable cadre  théorique, et en décrétant, au fil de l'eau, que la situation est différente parce qu'elle n'est pas pareille, ou qu'il existe un (puissant) motif d'intérêt général pour traiter différemment des situations identiques. Mais on a de la peine à croire, tant le propos semble déraisonnable et exagéré, qu'il s'agit d'autre chose que d'un racontar de voyageur désireux, comme Marco Polo, d'attirer l'attention.

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